C’est peu dire que j’attendais impatiemment de voir son second. L’affaire Kate Logan, tourné à l’automne 2009, dut attendre près de deux ans avant de trouver un distributeur. Sorti sur les écrans en août dernier, le film fut un échec public. Il faut dire qu’il n’était projeté que dans deux salles à Montréal. Par ailleurs, la presse cinéma était assez partagée, alors que Sur la trace d’Igor Rizzi avait connu un accueil critique plus unanime. À quoi fallait-il donc s’attendre ? Dans l’incapacité la plus totale de voir le film sur grand écran, j’avais dû me contenter jusqu’ici de l’excellente bande-annonce.
Mais ce fut tout de même avec une certaine fébrilité que j’enfournai le DVD dans mon lecteur. Et si l’effet Mitrani s’était dissipé ?
1h26 plus tard, c’était plutôt le doute qui s’était dissipé : le film est une vraie réussite.
La première impression est sa connexion thématique indéniable avec Balle de match (Match Point). Bien sûr, on ne saurait mettre les deux films sur un pied d’égalité. Balle de match est le
chef d’œuvre de Woody Allen, toutes époques confondues. Mais il lui a
fallu 35 films et 45 ans de carrière en tant qu’auteur-réalisateur pour y
parvenir. L’affaire Kate Logan n’est que le second long-métrage de Noël Mitrani, et il est encourageant
Synopsis
Benoit Gando (Laurent Lucas) est un
Français, employé dans une compagnie d’assurances parisienne ; il est de
passage dans un patelin de l’ouest canadien pour assister à un
séminaire d’entreprise. Un matin, en sortant d’un dépanneur, il croise
Kate Logan (Alexis Bledel), une jeune policière qui croit reconnaitre en
lui un violeur en série activement recherché. Elle l’arrête et le
menotte sur-le-champ mais réalise bien vite son erreur. La jeune femme
se confond en excuses sur le coup, puis lors d’une seconde rencontre
(fortuite ?). Mais ce qui ne devait être qu’une occasion de s’excuser
devant un verre va évoluer en relation charnelle. Et déraper.
Actes manqués
Contrairement à ce que bien des critiques ont avancé, L’affaire Kate Logan
n’est pas une succession de coïncidences ou de hasards malencontreux.
C’est une série d’actes manqués. Tout ce qui arrive est provoqué, plus
ou moins consciemment, par la policière.
Car Kate Logan s’ennuie, dans le
somnolent comté de Bruce. Après quelques mois de service, elle déchante.
Elle qui espérait vivre l’aventure dans la police, se retrouve au
milieu de flics ventripotents, qui portent des stetson pour
ressembler aux shérifs de western, qui tirent dans les portes des motels
pour faire comme dans les thrillers, mais qui sont incapables de courir
cinquante mètres sans cracher leurs poumons.
Dans
ce contexte, la jolie jeune femme, aux allures très professionnelles,
détone. Or, derrière cette image policée de parfaite représentante de la
loi, se cache une femme-enfant. Dépourvue d’empathie, elle manque
cruellement de confiance en elle et n’hésite pas à réécrire son histoire
familiale pour la rendre plus conforme à l’image qu’elle veut projeter
d’elle-même. Mais le vernis est toujours à deux doigts de craquer.
Coincée dans ce coin perdu aux pied des
Rocheuses, Kate Logan veut vivre autre chose. Le grand frisson,
peut-être. Cela explique pourquoi elle a tant envie de reconnaitre un
violeur en série sous les traits de Benoit Gando, simple employé d’une
compagnie d’assurances. Il y a homme plus exaltant, mais pour la jeune
femme, il est ce qui se rapproche le plus de l’étranger. Car
personne ne vient jamais se perdre dans le comté de Bruce. Et si Benoit
Gando s’y retrouve, c’est parce qu’il fuit les complexes hôteliers pour
touristes friqués, au profit des motels où l’on ne parle pas le français
et qui lui donnent l’impression d’être dans un film américain.
Soit dit en passant, ce trait du personnage me parle. Pour Benoit Gando, les motels un peu miteux constituent son rêve américain. Le mien - avant de venir m'installer en Amérique du Nord - c'était le Double-R Café dans la série Twin Peaks, où les serveuses déambulaient, verseuse à la main, pour servir des refills de café.
Voilà pour le concours de circonstances. La rencontre aux airs de bluette surannée va pourtant tourner au vinaigre. Car la jeune femme, désireuse de faire durer cette relation naissante, va enchainer les mauvaises décisions. Jusqu’à une cavale aux allures de Bonnie and Clyde du pauvre. C’est là que la fragile Kate Logan va accéder à une pleine maturité en un temps record (mais à quel prix...). Et elle fera tout pour conserver son statut et son travail, certes décevant mais qui s’avère être la seule chose qui la sépare d’une vie minable, comme celle que mène son père. Au final, Kate Logan va même apprendre à jouer de sa fragilité, qui n’est désormais plus qu’apparente, pour tromper son monde et parvenir à ses fins.
Dans une interview sur le plateau de télévision de Radio-Canada, Noël Mitrani expliquait :
Force est de constater qu’il y réussit. Le revirement le plus important est sans nul doute le changement de principal protagoniste. Le film, axé tout d’abord sur Benoit Gando va glisser vers Kate Logan. Un tel changement est un exercice périlleux. Surtout lorsqu’il se produit tardivement, comme c’est le cas ici.J’avais vraiment besoin de faire un film où, à chaque fois qu’on croit qu’il va se passer quelque chose, qu’on est dans une direction, finalement, le film va dans une autre direction. [3'45"]
À
titre de comparaison (si l’on veut bien considérer que les
circonstances dramatiques des deux films sont un tant soit peu
similaires), dans Le petit lieutenant, Xavier Beauvois a opéré
un glissement tardif semblable, du personnage de Jalil Lespert vers
celui de Nathalie Baye. Mais il l’a complètement raté (à l’image du film
lui-même, parfaitement impersonnel). Noël Mitrani, lui, passe l’épreuve
haut la main : le personnage somme toute assez fade interprété par
Laurent Lucas laisse plus aisément la place à celui bien plus fascinant
d’Alexis Bledel, dont l’auteur-réalisateur a subtilement tracé la
psychologie depuis le début. Et à qui l'actrice principale apporte une
crédibilité de tous les instants.
Autre revirement, l’intervention de la femme de Benoit Gando est peut-être un peu longue. On craint un moment que Noël Mitrani n’ait perdu le fil de son récit. Mais on comprend finalement où le réalisateur veut nous emmener : le face-à-face des deux femmes va parachever la métamorphose de Kate Logan. Les séquences qui suivent et clôturent le film figurent d'ailleurs parmi les meilleures.
Autre revirement, l’intervention de la femme de Benoit Gando est peut-être un peu longue. On craint un moment que Noël Mitrani n’ait perdu le fil de son récit. Mais on comprend finalement où le réalisateur veut nous emmener : le face-à-face des deux femmes va parachever la métamorphose de Kate Logan. Les séquences qui suivent et clôturent le film figurent d'ailleurs parmi les meilleures.
On pourra regretter l’ultime plan du film, sorte de morale de l’histoire dont, à mon sens, on aurait parfaitement pu se passer.
Petite déception également de nature linguistique. Le film a en effet été tourné en anglais. Dans l'interview ci-dessus, Noël Mitrani explique parfaitement le but recherché [à 1'40"] :
Petite déception également de nature linguistique. Le film a en effet été tourné en anglais. Dans l'interview ci-dessus, Noël Mitrani explique parfaitement le but recherché [à 1'40"] :
Il fallait que le personnage soit perdu dans une langue qui n'était pas la sienne. C'est un personnage qui est assez intelligent, assez sûr de lui à la base, et qui est dans une position de fragilité, parce qu'il n'est pas dans sa langue ; il la maîtrise mal, il parle un anglais pas très sûr. Tout ça était important car cela permet d'expliquer qu'il se laisse prendre dans une histoire dans laquelle il aurait eu plus de contrôle s'il avait été dans sa langue naturelle.
De fait, sur le DVD - que vous ne
manquerez pas de vous procurer -, oubliez la version française (doublée
au Québec) qui est un non-sens. Il faut regarder le film en version originale anglaise.
Point barre. Toutefois, si Laurent Lucas a effectivement un accent
français à couper au couteau, je trouve que sa diction anglaise est
encore trop bonne pour quelqu'un qui est sensé être mal à l'aise avec
cette langue étrangère. Un peu plus d'hésitation dans ses répliques
aurait été bienvenu.
Mais c’est là bien peu de choses, en regard des nombreuses qualités de L’affaire Kate Logan.
Des qualités totalement et injustement occultées par la critique québécoise dans sa grande majorité.
Un échec critique injustifié
Après avoir vu le film, j’ai eu rétrospectivement du mal à comprendre diverses critiques que j’avais lues :
- des personnages superficiels ?
- des situations absolument pas crédibles ?
- des coïncidences improbables ?
- des entorses à la logique ?
- « une réalisation maniérée et dénuée de tout parti-pris esthétique » ?
C’est clair, nous n’avons pas vu le même film.
Alors que la critique québécoise avait
encensé le premier long-métrage de Noël Mitrani, elle s’est défoulée sur
le second. Pourquoi une telle disparité ? Est-ce vraiment dû aux
défauts de L’affaire Kate Logan ? Proposons ici une explication alternative.
Noël Mitrani est un Ontarien francophone
d’origine, mais élevé en France et revenu s’installer au Québec en
2005. Il vit sur le Plateau Mont-Royal, l’archétype du quartier
”bourgeois bohème” montréalais qui compte la plus forte concentration de
Français au km2 au Canada - je sais de quoi je parle, j’y vis aussi...
Sur la trace d’Igor Rizzi était un film tourné dans l’urgence avec 50 000 $, sur ledit Plateau Mont-Royal, avec quelques acteurs québécois « bien de chez nous » (Isabelle Blais, Emmanuel Bilodeau, Pierre-Luc Brillant,...).
Pour sa part, L’affaire Kate Logan a disposé d’un budget plus confortable (2,5 M$). Le film est censé se dérouler dans le Canada anglais, met en scène des acteurs canadiens anglophones et une vedette de série télé américaine. Et, suprême outrage, le film est tourné... en anglais. Et ça, la société des critiques bien pensantes du Québec ne laisse pas passer : c’est rien moins qu’une trahison.
Sur la trace d’Igor Rizzi était un film tourné dans l’urgence avec 50 000 $, sur ledit Plateau Mont-Royal, avec quelques acteurs québécois « bien de chez nous » (Isabelle Blais, Emmanuel Bilodeau, Pierre-Luc Brillant,...).
Pour sa part, L’affaire Kate Logan a disposé d’un budget plus confortable (2,5 M$). Le film est censé se dérouler dans le Canada anglais, met en scène des acteurs canadiens anglophones et une vedette de série télé américaine. Et, suprême outrage, le film est tourné... en anglais. Et ça, la société des critiques bien pensantes du Québec ne laisse pas passer : c’est rien moins qu’une trahison.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la meilleure critique québécoise émane de l'anglophone Montreal Gazette. Et que la pire vient du Devoir...
« Au Québec, fait comme les Québécois »
Tout le monde devrait au moins s’accorder sur une chose : la volonté de Noël Mitrani de changer de genre. Encensé pour un film d’auteur du PlateauTM
très réussi, il aurait pu jouer la facilité, s’endormir sur ses
lauriers et devenir un éternel espoir du cinéma d’auteur québécois.
Prenant tout le monde à contrepied, pour son second film, il choisit de
sortir de sa zone de confort : un drame policier, situé dans un coin
perdu de l’Alberta (mais tourné en quasi-intégralité au Québec), en
anglais, avec des acteurs anglophones.
Au bout du compte, Noël Mitrani a écrit
et réalisé un film original. Si l'on en croit l'accueil critique
francophone dans la Belle Province, bien mal lui en a pris ; il aurait
été mieux inspiré de faire comme d’autres auteurs québécois : se répéter
ad nauseam ou bien verser dans le plagiat.
Noël Mitrani n’est pas Xavier Dolan - Et c’est tant mieux
Au Québec (et même en France), la
critique fait la haie d’honneur à Xavier Dolan. Voilà un gamin porté aux
nues par la critique québécoise (puis française) dont l’oeuvre (si l’on
veut bien oser le terme) commence à ressembler à une caricature.
On peut apprécier J’ai tué ma mère,
cri de haine/amour d’un adolescent en révolte qui a les défauts de ses
qualités (et inversement). Le film est intéressant à bien des égards
mais ne tient pas la distance. Un moyen-métrage aurait bien mieux
convenu. Et surtout, Dolan n’est pas parvenu à transformer son premier
essai.
Preuve en est Les amours imaginaires,
son deuxième opus que, par un charmant euphémisme, la critique a
qualifié d’« exercice de style ». Ce film d’adolescent empreint de
minauderies cinématographiques prête à pouffer de rire.
Il faut lire la critique des Amours imaginaires parue dans Chronic’art sous la plume de Jérôme Momcilovic qui explique parfaitement comment le jeune prodige québécoisTM joue de sa jeunesse pour faire passer la pilule.
On pourrait ajouter aujourd’hui que
Dolan joue aussi parfaitement de son homosexualité. Un thème qu’il
décline de plus en plus fort - et de façon de moins en moins pertinente -
au fil de sa filmographie :
- son premier film mettait en scène un jeune adolescent, accessoirement homosexuel ;
- son second film est consacré à un triangle amoureux bisexuel ;
- son troisième film (en post-production) parlera des déboires sentimentaux d’un transsexuel.
On ne change pas une formule qui gagne.
Son 4ème film sera-t-il une tragédie saphique ?
Par Arnaud Palisson
Déc. 2011